Globalisation et intelligence artificielle (Carlos MUTTO)

Carlos MUTTO

19 novembre, 2023

Une grande majorité des 7,75 milliards d'habitants souffrent d « aphantasie », il s’agit d’un terme inventé en 2005 le Britannique Adam Zeman pour décrire les personnes incapables d’imaginer quelque chose de concret comme une simple forêt de montagne. Les victimes de cette perturbation du cerveau, déjà décrite au 19ème siècle par Francis Galton, connaissent les arbres, les rochers, les rivières et les moutons. Mais ils ne peuvent pas « visualiser » mentalement le tout du paysage et encore moins de projeter dans le temps une métamorphose de son ensemble et non plus, les évolutions dues aux transformations entre l’automne et l’hiver, qui modifient l’apparence des objets , altèrent les couleurs et  transforment même l' apparence du relief . En somme, ils se sentent comme des « aveugles d’imagination » et beaucoup d’entre eux sont même incapables de rêver.

Seulement 2,5% des personnes souffrent cet « aveuglement de l’imagination ». Mais le reste de l'humanité expérimente ce même déficit fonctionnel du cerveau quand elle tente d’imaginer l’avenir ou de se projeter à 30 ou 50 ans. Presque tout le monde (en particulier les décideurs politiques) rencontre des difficultés quand il s’agit d’imaginer le monde de 2050 ou 2100 et se préparer à faire face aux conséquences du changement le climat et l’impact que l’énorme convulsion de la quatrième révolution industrielle aura sur la vie quotidienne de l’humanité. D’autre part, « les démons » des menaces financières, sociales et politiques se multiplient avec l’accélération du changement technologique, touchant essentiellement le développement du secteur financier et, particulièrement, la financiarisation de l’économie. Le premier, et le plus grand de ces risques, comme l’avait l’averti   un récent rapport de l’Organisation de coopération au développement économique (OCDE), c’est l’augmentation exponentielle des inégalités et l’appauvrissement d’énormes secteurs de la population mondiale.

Les dirigeants font semblant de croire que le chemin parcouru jusqu'à maintenant permettra d’atteindre l’avenir et d’y faire face sans trop de bouleversements. C'est ce que pensent les spécialistes du risque qu’ils appellent le « syndrome de Cassandra », un biais cognitif qui consiste à ignorer les avertissements sensés et avec des fondements, et admettre que le pouvoir – économique, politique et technologique – est en train de se déplacer vers le continent asiatique et que les chocs des prochaines années se produiront au détriment de l'Occident . Ce phénomène marquera une transformation géopolitique sans précédent depuis la Renaissance.

Face à ces doutes essentiels, les sociétés occidentales se demandent avec angoisse qui va réfléchir et construire notre avenir.  Joël de Rosnay affirme qu'il faut aimer et respecter l’avenir pour le comprendre. La principale raison de cette incapacité de la part des décideurs, c'est qu'ils sont des « analphabètes technologiques » dans un monde dominé par la mécanique intellectuelle de hauts fonctionnaires diplômés issus d'instituts de haut niveau. En Chine, la plupart des 371 membres du Comité central, en particulier les neuf membres du bureau Politique, sont des ingénieurs de formation.  La France présente un modèle opposé : c'est François Bayrou, professeur de littérature  classique qui pilote la planification et réflexion prospective chargé de préparer les propositions du gouvernement dans les domaines « économiques , sociaux, démographiques , environnementaux , sanitaires , technologiques et culturels ». Aucune des deux écoles ne semblent suffire.

Faire face aux difficultés du présent, les dirigeants n'osent pas évoquer le futur par peur d’être ridiculisés face à des sociétés angoissées, dont l'horizon s'étend à peine jusqu'à la fin du mois. Dans un système politique gouverné par l’émotion et très conditionné par la pression médiatique et les lobbies, leurs options s’appuient sur « l'intuition », comme l’affirmait le psychologue Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002 pour ses travaux sur la théorie de la décision. Par manque de préparation ou par timidité, les dirigeants deviennent des prisonniers des forces incontrôlables qui prennent des décisions à leur place. Cette contrainte affaiblit tous les efforts (surtout de L’État) pour intégrer les intérêts de la société à long terme.

Que peut-on faire dans ce contexte pour rivaliser avec les pressions des développements intellectuels, technologiques et financiers déployés par les GAFAM (1) ou les deux grands pôles mondiaux de l'innovation la technologique, la Silicon Valley et le quartier de Zhongguancun à Pékin ? (A titre d’exemple, la facturation des cinq composantes des GAFAM ont totalisé en 2020 929 milliards de dollars, un chiffre équivalent au PIB des Pays-Bas, 17ème économie dans le monde, et la totalité des valeurs boursières accumulées s'élevait à 5,853 milliards de dollars, soit plus que la richesse du Japon). Compte tenu de ces « évidences », il est facile de comprendre que la planification de l’avenir C'est aussi un élément clé de la notion de souveraineté. Pour comprendre d'un coup d’œil les surprises que l’avenir nous réserve Il suffit d’imaginer l’impact qu’aura la croissance démographique. La population monde, qui était de seulement 1,9 milliard d’habitants, a triplé jusqu'à atteindra 6 milliards en 2000, elle atteindra 10 milliards en 2050 et, pourrait atteindre 17 milliards d'ici la fin du siècle. La bonne nouvelle est que, s'il n'y a pas de changement radical qui modifie cette trajectoire, la moitié de la planète aura réussi à échapper à la pauvreté entre 2025 et 2050, une évolution qui est en train transformer les chaînes de valeur mondiales.  D’ici 30 ans, dans les pays émergents aura près de 10 000 entreprises qui factureront plus d’un milliard de dollars chaque année séduit séduire la nouvelle classe de consommateurs avec un revenu de plus de 10 dollars pour jour, ils pourront consacrer même s’il s’agit d’ une infime partie du salaire à des dépenses de « luxe ». Dans un rapport publié il y a cinq années, le McKinsey Global Institute (MGI) prédisait que d'ici 2050, la moitié du PIB mondial sera produit par les nouvelles technologies créées au cours des dernières années. Sur les 25 000 milliards de dollars échangés en 2020, les échanges numériques ont remplacé une part considérable du volume écoulé par voie aérienne, maritime et terrestre.

La mauvaise nouvelle est que ce ne sera pas facile de faire face aux exigences dues à l’augmentation de la population mondiale en matière d ' alimentation, de logement, de travail, de santé, d’éducation, de mobilité et d’infrastructures urbain. En pratique, il n'y a pas des études qui abordent à l'échelle mondiale ces défis. Les organismes de prospectives des grandes puissances cherchent à découvrir et à définir les menaces géopolitiques et stratégiques, les grandes entreprises préfèrent se concentrer sur la prévision des risques ou sur l’apport discutable, des superforecasters, cette nouvelle catégorie de gourous qui fascine certains investisseurs. La situation présente des difficultés plus grandes quand on pense que, sans une vraie coopération multilatérale, ce sera extrêmement dur de faire que l’avenir se transforme en un présent « vivable » pour les nouvelles générations.

GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft)

Carlos MUTTO
Spécialiste en intelligence économique et journaliste

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