Les maîtres et les esclaves dans la globalisation
Georges ESCRIBANO |
01 septembre, 2023 |
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L’approche psychosocionomique réintègre la dimension psychologique à la macro-sphère sociale et économique, car ces trois dimensions sont imprégnées et interdépendantes chez l’être humain. L’emprunt que fait la psychosocionomie aux neurosciences dans la perspective de Paul D. Mac Lean et Henri Laborit lui permet de préciser une approche systémique du Sujet interagissant avec ces trois sphères. Elle convie chacun de nous à repenser la nature de sa responsabilité dans ce système de globalisation, aujourd’hui dénoncé de toutes parts.
1. Contribution individuelle et collective à la dynamique de rareté et à la problématique maître-esclave
C’est l’homme qui a créé la globalisation et qui y participe. Nous sommes donc tous coresponsables, ce qui implique selon la perspective de la Psychosocionomie une prise de conscience systémique et individuelle, source de foi en l’avenir. Victimes, et quelquefois profiteurs gavés et épuisés, nous sommes engagés dans ce mouvement brownien, dont la plupart déplorent les effets négatifs et plus généralement les échecs à survivre, notamment psychiquement . À travers les médias, nous achetons du prêt-à-penser qui nous prive de la capacité de poursuivre une vraie réflexion et de prendre conscience que la consommation ne comble pas notre manque à être et à nous sentir proches. Or nous pouvons nous organiser autour de valeurs solides pour recréer du lien social, diminuant ainsi le taux de pathologies individuelles. Nous pouvons sortir d’un individualisme aucunement synonyme d’individuation, car trop proche d’une pulsion de survie qui exclut le don et renforce le vide narcissique.
Dialectique du maître et de l’esclave
L’esclave cherche les retombées de l’éclat du narcissisme du maître, comme le souligne si justement Wilheim Reich : "Esclave de n’importe qui, tu promènes ton maître triomphalement à travers les rues de la ville" . Un maître qui est lui-même esclave de son propre désir d’être reconnu, de son illusion de croire pouvoir combler le manque à être par une consommation qui ne fait que renforcer une forme de vide hypnotique né de la peur du manque. En prenant comme référence l’analyse que fait Nietzche sur la dialectique du Maître et de l’Esclave, nous pouvons conclure qu’il s’agit de mentalités, et non de personnes appartenant à telle ou telle classe sociale. L’esclave ne peut que s’occuper de lui-même, de sa propre survie. Pris dans un « sauve-qui-peut », il n’a pas les moyens de penser aux autres, il devient égoïste et individualiste, il tente d’accumuler, il se vit dans la rareté, car 'il n’y a pas assez pour tous'. Il faut donc prendre tout ce qu’on peut pour soi. Nous pouvons vérifier que beaucoup de gens très riches ont cette mentalité d’esclave. Esclaves de leurs désirs, ils accumulent des richesses sans que ce ne soit jamais assez, et se pensent dans une sorte de royaume du manque perpétuel, comme si la survie n’était jamais assurée . C’est souvent le cas de ces personnes que l’on appelle « nouveaux riches » depuis la naissance de la bourgeoisie. Aujourd’hui, il semble que le capitalisme et le système financier fonctionnent sur ce principe : "sauve qui peut, je ramasse tout ce que je peux".Le Maître lui, n’est pas dans la survie, son existence est assurée, il n’a pas à se préoccuper du lendemain, il vit dans un milieu d’abondance, il peut s’occuper de l’autre et organiser la société. Il peut être généreux, solidaire, en lien . C’est aussi une mentalité que nous observons chez toutes ces personnes solidaires qui pensent au bien d’autrui même si elles sont pauvres économiquement parlant. On les rencontre dans le travail social, et dans toutes les classes socio-économiques. Elles peuvent nous aider à prendre conscience de notre posture et de notre responsabilité dans notre contribution à ce système, de manière à imaginer d’autres façons de vivre et de produire ensemble, de retrouver le Lien. Selon Luis de Miranda, qui reprend la dialectique du maître et de l'esclave de Hegel, le fait que « le désir doit avoir comme objet un autre désir » , joue en faveur de la création d’un nouvel environnement social, basé sur « une relation agonistique pour la reconnaissance »
2. Dynamique de la globalisation du point de vue de la PSN
Fondements de la Psychosocionomie (PSN)
Elle s’appuie sur un corpus théorique à travers le référentiel cohérent qu’elle a construit, qui inclut un ensemble de concepts articulés entre eux : l’homopsychosocionomicus, les notions de responsabilité et d’interdépendance psycho socioéconomiques, l’homologie entre des entités culturelles et la psychologie humaine. Des articulations entre structures, systèmes et personnalité, et la notion d’altérité lui confèrent des bases d’analyse solides.Les auteurs proposent en appui sur ce corpus d’ouvrir les perspectives d’une réflexion autour d’un changement de paradigme, dans lequel le modèle actuel de globalisation redonne à l’homme sa capacité d’être acteur-sujet des systèmes qu’il crée.
La globalisation est la « Tendance des entreprises multinationales à concevoir des stratégies à l'échelle planétaire, conduisant à la mise en place d'un marché mondial unifié » . Elle se traduit par une interdépendance économique et financière généralisée entre les pays, les cultures, et tous les systèmes.
La logique des entreprises multinationales fait qu’elles imposent leur loi socio-économique aux systèmes politiques qui servent leurs intérêts, en lien d’interdépendance étroite avec le système bancaire globalisé. L’approche socio-économique déjà menée par Marx , qui prédisait les crises du capitalisme, se révèle aujourd’hui visionnaire : le capitalisme globalisé progresse par crises envahissant la dimension spatiale et temporelle. Le peu d’évolution du système mondial pour réguler ses crises et résoudre les grandes inégalités socio-économiques appelle une très sérieuse remise en cause de ce modèle.
L’expérience contemporaine relatée par John Perkins dans 'Les Confessions d’un Assassin Financier' confirme la création d’un empire global par les grandes compagnies d’ingénierie et de construction, les banques internationales et leurs gouvernements. Ce qu’il nomme « corporatocratie » engendre des déséquilibres de tous ordres, économique, financiers, social : aujourd’hui plus d’un million de personnes au monde meurent de faim chaque année.
Analyse critique de la globalisation
Il s’agit d’un processus à la fois facteur d'unification internationale, qui a permis la libéralisation des échanges, comme la croissances des « Quatre dragons » (Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong-Kong), et l'annonce de nouvelles solidarités à travers des organisations telles que l'UE, l'ALENA , le MERCOSUR, sans compter la création de grandes instances mondiales comme l'OMC, l'OCDE, le FMI.
La mondialisation, c'est aussi les Télécommunications, la révolution des Nouvelles Technologies de l'Informatique et de l'Internet, la culture, la communication et les déplacements ouverts au monde entier.
Mais la globalisation fonctionne sur les bases d’un système de compétition qui crée des exclus et des victimes, par la mise en concurrence des salariés et producteurs du monde entier, soumis au diktat des cours internationaux, toujours en défaveur des termes de l'échange pour les pays pauvres producteurs de matières premières. En d’autres termes, l’organisation du système capitaliste globalisé, fondée sur une dynamique de rareté, permet aux pays riches de s'enrichir de plus en plus au détriment des pays pauvres, selon une fragmentation du monde qui creuse le fossé des inégalités.
Parce que la valorisation se fait par la rareté, principe même de l’offre et de la demande (ce qui est rare est cher), l’empire globalisé impulse un système circulaire qui fonctionne sur le mode de la survie. Cette économie engendre cependant l’abondance (production de biens, de services et de financements) dont elle prive l’immense majorité des pays et des travailleurs du monde entier. La croissance bénéficie aux riches, inhibe le développement et nuit à la stabilité démocratique. Dans une forme absolue d’absurdité, l’économie asservit les hommes plutôt qu'elle ne les sert.
Un exemple criant est le système agro-alimentaire mondial, qui confisque les modes traditionnels de production du monde paysan pour les lui revendre, une fois les terres et les graines rendues infertiles. Sous prétexte de répondre aux besoins de tous, nous sommes au cœur d’un système qui contribue à empoisonner les populations par une agriculture toxique et destructrice du vivant. Un système qui nous échappe alors même que nous croyons en être les maîtres, revers d’une toute-puissance née avec les progrès extraordinaires réalisés dans les domaines technique, scientifique, médical, biologique etc.
Nous constatons que s’il y a une pensée, elle est au service de technologies et de tactiques géopolitiques « excluantes ». Ce qui n’est pas une conspiration, mais bien la conséquence d’un modèle de fonctionnement pulsionnel qui, ne s’inscrivant ni dans le temps ni dans l’espace, en devient l’esclave. Nous sommes par conséquent globalisés, « à nos corps et désirs défendants », mais cependant coresponsables. Ce modèle nous transforme en victimes, et cependant nous sommes « contributeurs » à cette course effrénée au profit, pris dans le mouvement brownien d’un mode de production-consommation qui envahit l’espace-monde.
Comment en sommes-nous arrivés à participer à un tel système, non viable à moyen comme à long terme, qui fonctionne selon les règles de la rareté, et qui engendre la surproduction sur fond de misère ?
De nombreux économistes, sociologues, psychologues, ont exploré ces questions à leur manière. Nous allons tenter d’en dégager quelques articulations psychosocionomiques entre les sphères économiques, sociale et psychologique.
Les besoins de base étant globalement satisfaits dans les couches de population aptes à les payer, le système n’a cessé de créer de nouveaux et faux besoins, pris dans la spirale production-vente-profit. Les biens de consommation subissent alors un double dommage en termes de création de rareté : obsolescence vis à vis des critères de nouveauté, et obsolescence programmée. Un désastre écologique matérialisé par l’énormité des déchets qui polluent la planète.
Au niveau psychique, cette surabondance de biens noie l’humain, car elle répond de manière éclatée à des besoins réels transformés en faux besoins. Le désir, lui, ne peut naître qu’entre des êtres vivants, par les différentes formes de liens que tisse une relation. "L’objet crée le besoin, le sujet crée le désir", dit Françoise Dolto.
Françoise Dolto parlait de création de besoin par l’objet, car nul n’a besoin d’avoir cinq paires de chaussures, même s’il a besoin de se chausser. Nous dirons qu’il y a création d’une sensation dans l’urgence d’un besoin qui n’en est pas un ! Et nous participons à une société de l’envie, un terme d’enfant qui ne fait que traduire une espèce de régression collective dans laquelle nous plonge notre système de consommation par l’image. Les objets nous donnent envie, et nous entrons dans la spirale infernale du travail, de l’endettement, et de la soumission. L’envie par rapport à avoir ce que l’autre a ou n’a pas, forme de tension plus ou moins consciente, car tout être humain a besoin de se structurer, d’évaluer sa place dans le monde, et de lire la reconnaissance dans les yeux de l’autre. Or ce type d’achat ne peut être que frustrant, car illusoire. D’où l'addiction à se procurer encore plus de ce qui n’a pas été suffisamment nourrissant pour le sujet de la personne, manière ruineuse et insatiable de se sentir exister et de se « re-narcissiser ». Car la réponse ne se situe pas au niveau des besoins du sujet, ersatz d’estime de soi et de l’autre, 'colifichets' de posture sociale. Nous sommes insatiables par libido narcissique, qui en se tournant vers les objets devient libido d’objet : "Le narcissisme en ce sens serait le complément libidinal à l’égoïsme de la pulsion d’autoconservation... entraînant les êtres humains dans une société de consumation" comme la nomme si justement Luis de Miranda . La petite part riche de la population mondiale, ne pouvant obtenir la sensation de satiété, développe une avidité croissante, née de la frustration à Être par éclatement du désir et de soi. Ceci non seulement au détriment de son équilibre et de son bien être psychique, mais aussi au détriment de la satisfaction des besoins de survie de la majorité de la population mondiale, et au détriment des ressources écologiques de la terre qui la porte. Les dettes de tous ordres, psychiques et financières, s’accumulent et deviennent ingérables.
Au niveau social, cette aliénation par la consommation se fait de manière globalisée, par envahissement d’une culture mondialisée qui entretient le mythe de l’immortalité, lequel prend ses racines dans le cerveau reptilien, appelé aussi cerveau des pulsions. La pulsion cherche la vie à tout prix, donc l’immortalité. Dans cette course à l’accumulation, la dynamique de l‘esclave nous pousse à méconnaître la réalité physique et biologique, et nous profitons de la terre et de ses ressources comme s'il n’y avait pas de limites, entraînés vers l'insatiabilité et la frénésie accumulatrice. H. Marcuse avait parfaitement compris les articulations entre les sphères sociales et économique. Il ne cessait de dénoncer ce qu'il appelait la société industrielle avancée, qui crée des besoins illusoires (false needs) par la pression sur les mass médias. Mais il n’avait pas anticipé « le basculement de toutes les civilisations vers le capitalisme, le dérèglement et la mondialisation financière, l’emprise de la rareté au niveau de la planète" car il n’était pas économiste, mais philosophe et sociologue. La publicité envahit e s’empare des individualités dans une culture globalisée par le biais des médias appartenant aux grands groupes capitalistes qui déforment et l’utilisent en fonction des besoins de la « corporatocratie ».
La conséquence en est un univers de pensée et de comportement « unidimensionnel », qui ne cesse d’acquérir d’influence, pour être désormais planétaire et présenté comme universel. Les cultures et toutes les différences en sont de fait 'uniformées', et l’esprit critique s’assoupit dans une douce aliénation. Au prix de graves maltraitances culturelles imposées aux identités nationales, régionales, religieuses et même professionnelles... Ainsi le capitalisme globalisé dévore ses propres enfants, dans une tendance morbide à saper les liens entre soi et Soi, et de ce fait les liens avec les autres et le monde. Sous l’emprise de cette dynamique désastreuse, les valeurs qui font lien et qui président au besoin de reconnaissance se trouvent émiettées et vidées de leur substance.
Nous avons analysé à la lumière des neurosciences, que ce système globalisé, dont les effets sont à la fois si bénéfiques et si néfastes, fonctionne comme un handicapé qui ne saurait utiliser que deux fonctions cérébrales sur trois.
La fonction reptilienne de notre cerveau nous pousse à acheter et produire trop et trop vite, mue par l’énergie de survie, la peur de manquer, et l’angoisse de perdre une ressource rare : le travail, seul moyen de survie dans une société individualiste et fragmentée.
Le néocortex, siège de la créativité, de l’intelligence, de l’action réfléchie, de la culture et de la spiritualité, n’a de cesse de trouver de nouvelles manières d’améliorer les techniques de production dans un environnement planétaire hautement concurrentiel... sans considérer ni les coûts humains ni les dommages environnementaux. L’intelligence planétaire fonctionne de manière débridée pour créer et satisfaire des désirs fabriqués, sources d’impensables profits.
La fonction de notre système limbique est le siège de notre sensibilité et de notre humanité comme de notre capacité á nous inscrire dans le temps et dans l’espace. Aujourd’hui dans nos sociétés dites développées cette fonction est freinée, notamment par l’influence de la philosophie cartésienne dont le, « je pense donc je suis », semble nous avoir exonéré de la nécessité de reconnaître notre partie affective et relationnelle. Docile par manque de maturité, notre système limbique se laisse anesthésier. Ainsi notre intelligence tactique et technique peut fonctionner à plein régime, propulsée par l’énergie pulsionnelle de notre cerveau reptilien, partiellement délivrée de notre partie émotionnelle.
Tout se passe comme si, obnubilés par la peur de ne pouvoir survivre, nous ne pouvions que subir, pris dans l’individualisme, l’angoisse et la solitude. Un fonctionnement « psychopathe », une intelligence brillante qui a su créer un système planétaire qui nous lie les uns aux autres, faisant fi de la distance et des différences, mais qui ne nous permet pas de nous épanouir au sein d’une société conçue selon les principes d’égalité et du bien vivre ensemble.
3. Comment contribuer à une globalisation intégrante et non excluante ?
Parce que la globalisation est ce que nous en faisons, nous pouvons activer les richesses de notre système limbique, où nos neurones miroirs se réjouissent du bonheur de l’autre et s’attristent de sa peine. Si l’humanité laisse parler son cœur, alors tout devient possible : les masses d’argent qui circulent de manière débridée autour de la terre peuvent s’investir dans les régions les plus pauvres et apporter de l’eau, développer les énergies solaires et renouvelables, lutter contre la corruption des systèmes. Marshall Sahlins explique en quoi les peuples primitifs vivent la prospérité : ils entretiennent un rapport fraternel avec la nature, ignorent l’économie de marché et "peuvent systématiquement miser sur l’abondance". Une réalité viable tant que la technique n’est pas mise au profit de l’accumulation des biens.Quelles seraient les étapes d’une telle évolution ? Il s’agirait de renoncer à la dynamique de l’esclave et se désolidariser d’un système capitaliste globalisé qui fragilise nos sociétés et nos identités dans l’illusion de toute puissance et d’immortalité. De renoncer à croire qu’un terrain social émietté, fait d’individualisme et de luttes pour la survie, soit aptes á faire émerger des figures d’autorité crédibles et structurantes qui vont résoudre ces problématiques pour nous.
La solution pourrait bien s’appuyer sur l'énoncé lacanien "le désir de l'homme est le désir de l'Autre", ce qui montre la voie de la recherche d’un autre semblable, dans sa singularité et sa différence. Un chemin vers la rencontre de l’humain plutôt qu’un repli sur soi dicté par de fausses raisons de survie, un chemin qui porte en soi la notion d’altérité. Il s’agit ainsi de se réinventer une nouvelle culture au sens où l’observait Durkheim "Quand les consciences individuelles, au lieu de rester séparées, entrent étroitement en rapport, l’individu entraîné par la collectivité se donne tout entier aux fins communes". Car le groupe produit des idées, des sentiments, des normes communes et de nouveaux modes d’interaction et de pouvoir. Il a donc le pouvoir de se créer une vie propre avec des lois qui structurent un développement autonome. En ce sens nous pouvons rejoindre l’expression de Durkheim "Il suffit qu’il y ait des consciences qui se groupent pour qu’il y ait 'quelque chose de changé' dans le monde"
Le chemin est aussi celui de l’apprentissage de nouvelles compétences. Il s’agit de travailler ses facteurs d’aliénation : la liberté de désirer dans la consommation, en dehors des liens et des réflexions que l’on crée, n’apporte que désillusion. Il y a du renoncement à élaborer pour éviter de penser un Soi et un Monde sans limite, et Lacan nous le rappelle : "la jouissance est impossible". Ce type de renoncement s’inscrit sur le chemin de notre maturité émotionnelle, pour nous permettre de devenir créateurs de liens et de structures d’échanges coopératifs, bases d’une confiance collective et sociale.
Nous pouvons travailler sur l’avènement d’une jouissance possible au sens évoqué par Marx au cœur d’un système de production-consommation, en réorientant les systèmes économiques et financiers sur la base d’échanges eux-mêmes basés sur l’égalité et la sécurité. Les conséquences prévisibles d’un tel changement sont que les sujets, délivrés de la mentalité de l’esclave, peuvent consacrer leur énergie collective à la co-création de systèmes sociaux basés sur la solidarité, l’égalité et l’altérité. Il s’agirait d’une forme d'organisation sociale fondée sur l'intérêt commun plutôt que sur la seule satisfaction des désirs individuels. Car si les besoins vitaux ont leur propre limite à la satisfaction, le désir, qui est lié à l’imagination et aux besoins nouveaux que la vie sociale construit de manière artificielle, n’en a pas. Selon Durkheim, les désirs ne trouvant aucune barrière font vivre aux individus un état de manque frustrant, voire « une souffrance attachée à l’inaccessible standing social ». En cela il pose la question du renoncement que les règles du groupe peuvent accompagner pour faciliter une limitation aux insatiables désirs. Laissant un espace de manque pour que le désir, pulsion de vie et de création, continue à se manifester, mais différemment, dans le lien avec l’autre ....car n’oublions pas que c’est le lien avec l’autre qui crée la vie.
La sécurité ainsi créée permet à l’être de se sentir unifié, pour vivre une forme de renaissance, stimulé par la participation à la création d’un nouveau modèle du monde. Celui où l’homme vit de manière consciente son énergie archaïque et pulsionnelle, régulée par une intelligence capable d’inscrire ses actions dans l’espace et dans le temps, et de savoir se relier à ce qui lui échappe, comme la partie sensible de l’Être.
Pour J. Rifkin, nous sommes déjà dans cette troisième voie, comme une forme d'organisation rendue possible par Internet : un monde qui émerge, en appui sur les réseaux sociaux, basé sur la culture du partage. Selon lui, l’évolution incontournable de l’économie condamnée à produire à coût marginal de plus en plus faible, voire nul, ne serait le signe avant-coureur de l’extinction prochaine du capitalisme globalisé. Un nouveau modèle issu de la troisième révolution industrielle est déjà en train de naître, sur le socle d’une économie de partage circulaire. Elle œuvre en faveur de la réintégration dans notre histoire collective de la fonction de notre cerveau émotionnel et relationnel.
Des perspectives concrètes
Nous pensons qu’il est temps de structurer une réflexion systémique autour d’orientations qui s’inscrivent dans le temps et s’organisent dans l’espace, contrairement au système capitaliste globalisé, qui réagit à court terme en débordant sur tous les domaines.Les associations supranationales comme le FMI et la Banque Mondiale, au lieu d'être des outils au service de certains états hégémoniques, ont les moyens de réguler la globalisation et d’en faire un instrument du développement. Elles ont la lourde responsabilité, au même titre que chacun de nous, de participer à recréer ce sentiment d’abondance vécu par les peuples primitifs. Ces peuples qui respectent la « Terre-Mère », qui s’épanouissent á l’intérieur de ses limites, et qui savent l’honorer pour ses dons.
Ainsi nous pensons que l’institution d’un revenu minimal pour tous serait une clé magnifique qui pourrait contribuer à un changement de mentalité. Une fois les besoins de survie satisfaits, la différence entre besoins et désirs devrait s’assumer de manière plus consciente. Bien que durement frappée par la crise, mue par la mentalité du Maitre, la Finlande tente cette expérience pour lutter contre le stress économique après avoir constaté que les personnes ont toujours plus envie de travailler que de ne pas travailler.
Nous pourrions aussi décider d’une réparation des dommages psychiques, économiques et sociaux causés depuis quelques siècles, ce qui serait bénéfique pour transformer une culpabilité liée au sentiment inné de justice qui anime la plupart des hommes et des femmes. Par exemple : octroyer des prêts à taux zéro et à long terme pour favoriser un mode de développement choisi par les pays pauvres.
Pour éviter la « finance folle », taxer les transactions, retrouver une cotation des monnaies basée sur la référence à l'étalon-or ; se doter d’un système fiscal équitable, et de moyens internationaux et solidaires de lutte contre la fraude fiscale ; éradiquer les cartels de la drogue et de la prostitution.
Nous pourrions voter les lois au suffrage universel plutôt que de les confier à des élus. Former les candidats aux fonctions publiques au Développement Durable et à la Psychosocionomie. Multiplier les instances de médiation pour intervenir au niveau des gouvernements, des entreprises, et des instances supra-gouvernementales. Développer des programmes d’enseignement gratuits dans toutes les langues par Internet car l’éducation est le socle des nouvelles formes de gouvernance. Toutes ces propositions ont pour but de suggérer une structure cohérente au niveau socio-économique de façon à prendre en compte des besoins fondamentaux chez les humains et contribuer ainsi à l’élaboration d’une nouvelle position de l’homme par rapport à l’homme et à la nature.
D’ores et déjà de nombreuses personnes explorent de nouvelles formes de vie communautaire dans les éco-villages, comme d’autres formes de regroupements pour produire et échanger, en adoptant une posture de coopération née d’un changement radical de mentalité. Une culture d’abondance affleure, tirant profit de l'expérience des communautés des années 1970, avec une belle maturité qui s’exprime à travers de nouvelles règles d’échange. Dans le monde des start-up, la Silicon Sentier, notamment Numa, est devenue rapidement un espace de co-working florissant parce que synergique. Sans négliger les mouvements très sérieux sur les achats, la finance et l’investissement socialement responsables.
Toutes ces initiatives procèdent d’une compréhension globale, intelligente, humaine et structurée, qui s’inscrit dans un monde où l’homme s’enrichit des idées, des échanges affectifs et de l’énergie de tous. Un monde dont le cerveau planétaire utilise pleinement ses trois fonctions.
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